Le désir et le monde : trajectoires de Renaud Barbaras, avec Renaud Barbaras, Camille Riquier, Mathias Goy et Élodie Boublil

Il y a quelques mois, nous avions pu écouter Michel Bitbol nous entretenir du parcours tout a fait singulier l’ayant conduit, sur les pas de Francisco Varela, à inclure l’approche phénoménologique au cœur de ses recherches. C’est pour essayer de mener plus avant notre exploration des ramifications contemporaines de ce courant majeur de la philosophie qu’est la phénoménologie, afin également de montrer son étonnante diversité et sa remarquable vigueur, que nous entendrons aujourd'hui Renaud Barbaras, dans une série de trois entretiens menés par Camille Riquier, Mathias Goy et Élodie Boublil.

Le shivaïsme du Cachemire et la philosophie de la Reconnaissance, avec David Dubois et Yves-Marie L'Hour

Courant religieux essentiellement mystique, le shivaïsme du Cachemire a connu, à partir du tournant du Xe siècle, un développement philosophique culminant avec les figures d’Utpaladeva et d’Abhinavagupta. Nommé Pratyabhijñā (Reconnaissance), en référence à l'oeuvre maîtresse d'Utpaladeva, intitulée Īśvara-pratyabhijñā-kārikās (Stances pour la Reconnaissance du Seigneur en soi), ce développement philosophique considère le dieu Shiva, conscience absolue, comme étant le fondement de toute chose, et vise à réaliser l'identité du Soi et de Dieu.

Physique quantique et philosophie de la conscience, avec Michel Bitbol, Thibaut Gress et Katia Kanban

Bien connu pour ses réflexions sur la physique quantique et pour sa profonde connaissance de la vie et de l’œuvre d'Erwin Schrödinger, dont il a traduit et commenté certains textes, Michel Bitbol poursuit également une méditation au long cours en philosophie de l'esprit : interrogeant, à la suite de Francisco Varela, dont il fut un proche collaborateur, les présupposés et la pertinence de ce que David Chalmers appelle le problème difficile de la conscience (hard problem of consciousness), c'est-à-dire la question de savoir quelle est l'origine physique de l’expérience consciente, il cite volontiers Wittgenstein qui, dans ses Recherches philosophiques (304), à propos de l'expérience de la douleur, écrivait : « Elle n’est pas un quelque chose, mais elle n’est pas non plus un rien ! », récent écho de ce que l'on pouvait déjà lire dans une Upanishad datant du VIIIe siècle avant notre ère : « Cela […] n’est jamais vu mais est le voyant, n’est jamais entendu mais est l’entendant, n’est jamais pensé mais est le pensant, n’est jamais connu mais est le connaissant. » (Bŗhadāranyaka Upanişad, 3, VIII, 11). Or, c'est entre autres sur l'exclusion de ce cela que s'est bâtie la science : l'objectivité, le point de vue de nulle part, comme l'appelle Thomas Nagel, exclut de fait la perspective d'un sujet connaissant pour s’intéresser aux objets ou à leurs attributs, détachés de tout contexte. Et si, comme nous le dit Michel Bitbol, le problème difficile de la conscience présente des similitudes avec certaines difficultés d’interprétation en physique quantique, le problème de la mesure par exemple, qu'illustre la fameuse expérience de pensée dite paradoxe du chat de Schrödinger, ou bien le non moins célèbre paradoxe EPR, c’est que notre cadre épistémologique habituel, qui conduit à décrire tout phénomène comme émanant d’une réalité déjà constituée, indépendante des moyens que nous avons de l'explorer, n’est peut-être tout simplement pas adapté à ces questions.

Le sens du sensible, une approche philosophique de la peinture, avec Thibaut Gress et Isabelle Raviolo

Si la réflexion concernant les œuvres d’art remonte à Platon, et si un certain nombre de philosophes de la tradition occidentale ont tenté d’approfondir la question du sens philosophique de ces œuvres, il semble que l’on ait le plus souvent exclu la sensibilité comme vecteur possible de ce sens pour privilégier, entre autres, l’image. L’image, qui se prête apparemment mieux aux discours philosophiques puisqu’elle est généralement reliée à d’autres éléments de la culture : courants de pensée, textes, pratiques, etc. C’est le contre-pied de cette approche, renvoyant à une extériorité des œuvres, que prend Thibaut Gress qui, s’appuyant sur Hegel et mettant sa thèse à l'épreuve sur des œuvres picturales de la Renaissance italienne, nous propose d’entreprendre une réflexion philosophique en partant de la manifestation sensible de ces œuvres, c’est-à-dire de leur forme, telle qu’elle se donne matériellement au travers de la disposition spatiale, de la lumière, du dessin ou encore de la couleur.

La libellule et le café, avec Alain Cugno, Éric Zernik et Isabelle Raviolo

"Passionné d’éthologie, Alain Cugno habite le monde en philosophe : il questionne les sources, les modalités de ce qui l’environne. Il se risque à la perception des phénomènes, ose se heurter à leur complexité. À cette volonté de philosopher en route, Alain Cugno mêle une autre dimension, plus rare dans le champ littéraire français, que l’on peut lier à la tradition américaine du « nature writing ». Passionné par les libellules qu’il qualifie de « guerrières », Alain Cugno s’émerveille devant la minutie et la précision de leur construction. Pour le philosophe, tout se passe comme si les libellules étaient des « artefacts », comme si elles étaient « bricolées » par un artiste génial. Passionné par le milieu urbain, Éric Zernik se laisse enseigner par les faits, écoute, observe : il entre dans la foule comme en un immense réservoir d’électricité. Les cafés parisiens sont un lieu de prédilection pour le philosophe. À la recherche d’un inconnu dont la physionomie entrevue l’a fasciné, Éric Zernik s’ouvre à l’atmosphère singulière de ces lieux de vie ; il tente d’en saisir l’essence. Et pour cela, il choisit d’en passer par le cinéma, et plus particulièrement par celui de la Nouvelle Vague qui met en lumière toute l’ambiguïté du café."*

L'homme à l'épreuve du réel, avec Pierre Magnard et Isabelle Raviolo

Particulièrement remarqué pour ses travaux sur l’œuvre du philosophe renaissant Charles de Bovelles, dont il a révélé l'importance, professeur émérite à la Sorbonne et lauréat du Grand Prix de Philosophie de l'Académie française, Pierre Magnard est l'une des figures clefs du monde de l’enseignement et de la recherche, référence incontournable dès que l'on se penche sur certains penseurs qui ont profondément marqué la période allant du 15e au 17e siècle : de Nicolas de Cues à Pascal, en passant par Marsile Ficin et Montaigne...

Michel Cazenave, poète des profondeurs, avec Michel Cazenave

Si de Michel Cazenave, on connaît généralement les essais — concernant les mythes, la psychanalyse, la science et la philosophie —, il est beaucoup plus rare que l'on ait pris la mesure de sa production poétique. Et pourtant, il fait peu de doute que la profonde remise au travail de notre rapport au sacré à laquelle il nous convie, au gré de la vingtaine de recueils qui composent son itinéraire poétique, saurait trouver un écho dans l'âme de nos contemporains. Son œuvre, qui ne couvre pas moins d'un demi-siècle, dessine en effet un véritable chemin initiatique, au travers des thèmes privilégiés du féminin, de l'amour, de la mort et du divin.

Qumrân, les Esséniens et les défis du monothéisme, avec Katell Berthelot et Isabelle Raviolo

 

Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce ne sont pas loin de mille manuscrits, datant d'une période allant de la fin du IIIe siècle avant Jésus-Christ jusqu'à l'an 70 de notre ère, qui furent exhumés de grottes environnant le site archéologique de Qumrân, sur la rive occidentale de la mer Morte. Où en sont les recherches concernant ces manuscrits ? que peuvent-ils nous apprendre quant au processus de rédaction de la Bible ? que savons-nous des occupants du site de Qumrân au tournant de notre ère ? Bien qu'elle ne fasse pas l'unanimité, l'hypothèse d'une occupation de ce site par une communauté essénienne rencontre aujourd'hui la faveur de nombreux chercheurs...

Alain Cugno, un philosophe dans la cité, avec Alain Cugno et Isabelle Raviolo

Dans le cercle des philosophes français contemporains, Alain Cugno occupe une place singulière, due probablement au fait que son parcours philosophique est nourri par l'ardeur d'une méditation spirituelle au long cours. Méditation dont certaines harmoniques ne sont pas sans rappeler des auteurs comme Kierkegaard ou Michel Henry, s'attachant beaucoup plus à l'individualité, à l'événement, à la rencontre, qu'aux généralités et aux abstractions dont se pare parfois la philosophie. Partant de l'ipséité radicale du moi, il s'interroge sur le bonheur, sur l'éthique, sur l'amour, sur notre soif de transcendance, mais également sur ce que cela signifie de vivre ensemble, sur les notions de bien commun et de justice, c'est-à-dire sur ce qui fait l'essence même du politique.

Carl Gustav Jung, l'expérience intérieure, avec Michel Cazenave

Dans le champ de la psychanalyse, la question des phénomènes religieux fut le principal point de divergence entre Freud et Jung, point de divergence auquel ils ne purent trouver de résolution si ce n'est par leur rupture définitive en 1913. Freud astreignant le sentiment religieux aux schémas explicatifs de la psychanalyse, telle qu'il la concevait, renvoyant d'abord dans Totem et tabou à la névrose obsessionnelle, puis plus tard, dans L'avenir d'une illusion, à une position illusoire et infantile. Prenant le contre-pied de cette démarche, Jung allait donner au phénomène religieux une place et une signification qui déborde largement le cercle de la réflexion et de la pratique que définit la psychanalyse : plutôt que de le ramener à cette dernière, il allait se mettre à son écoute, tirant les leçons de son potentiel thérapeutique, jusqu'à déclarer, dès 1916, que « nul n'est guéri, qui n'a pas recouvré une position religieuse ».

Les Pères de Cappadoce et la théologie trinitaire au premier âge d'or du christianisme, avec Isabelle Raviolo, Bertrand Vergely et Michel Cazenave

Alors qu'avec la promulgation de l'édit de Milan par Constantin en 313, faisant suite à des décennies de persécution, les chrétiens accèdent à une liberté de culte officiellement reconnue, l'Église du début du IVe siècle doit immédiatement faire face à des dissensions internes ; dissensions qui menacent son unité même et qui reflètent l'absence à cette époque d'un corpus théologique bien affirmé, puisqu'il faudra attendre le Concile de Chalcédoine, au milieu du Ve siècle, pour qu'un certain nombre de dogmes fondateurs, reconnus aujourd'hui encore par les Églises Orthodoxe, Catholique et protestantes, établissent fermement le socle de la foi chrétienne. Or, au IVe siècle, la question qui occupe tous les esprits, la question pour laquelle on n'hésite pas parfois à risquer sa vie, est celle de savoir qui est vraiment celui qui est mort sur la croix sous le règne de Tibère, qui est vraiment Jésus de Nazareth : est-il Dieu ou bien est-il homme ? est-il engendré ou bien est-il créé ? Les réponses apportées à cette question, lors du premier concile œcuménique convoqué par Constantin à Nicée en 325, n'ayant pas vraiment été suivies d'effet, c'est toute l'habileté et toute la pugnacité de certains théologiens qui devra être mise à l'épreuve pour s'opposer à ceux qui, à la suite d'Arius, refusent la consubstantialité du Christ, insistant sur sa subordination au Père. Dans cet affrontement, sur le terrain politique tout autant que sur celui de la théologie, qui permit au christianisme de se constituer, les Pères de Cappadoce se distinguent tout particulièrement par leur contribution à l'appui d'une théologie trinitaire, c'est-à-dire établissant une identité de nature entre le Père, le Fils et l'Esprit-Saint. Les Pères de Cappadoce, c'est-à-dire Basile de Césarée, son frère Grégoire de Nysse, ainsi que Grégoire de Nazianze qui, affermis par la profondeur de leur expérience intérieure et s'aidant de la langue philosophique profane, notamment dans ses variantes platonicienne et néoplatonicienne, mais en en modifiant considérablement le sens, vont participer de cet effort fondateur consistant à donner au christianisme sa formulation.

Maître Eckhart ou la plénitude de l'abîme, avec Isabelle Raviolo et Michel Cazenave

Figure centrale de ce courant spirituel que l'on nomme la mystique rhénane, Maître Eckhart vécu au tournant du XIVe siècle. Son oeuvre, dont la profondeur et la fécondité témoignent d'une expérience intérieure exceptionnelle, irrigua ouvertement, mais parfois aussi de façon souterraine, des pans entiers de la réflexion en Occident, inspirant nombre de théologiens, de mystiques et de philosophes, jusqu'à ces personnalités majeures de la psychanalyse que sont Carl Gustav Jung et Jacques Lacan.

La transdisciplinarité : l'unité retrouvée de la connaissance, avec Basarab Nicolescu et Michel Cazenave

Lorsque l’on s'intéresse aux systèmes de représentation collectifs qui eurent cours avant l'apparition de la science moderne, on constate souvent à quel point les principes qui fondent la religion, l'art, la morale, la médecine, se rapportent les uns aux autres pour former une unité de la culture assurant la cohérence des différents domaines de l'expérience et de la connaissance. Or, il est généralement admis qu'en Occident le XVIIe siècle introduit une scission entre, d'une part, ce qui assurait jusqu'alors l'unité de la culture – la religion, la métaphysique – et, d'autre part, la science moderne qui, pour se constituer, évacue de son champ d'études tout ce qui n'est pas rationalisable, et se donne une méthode prétendant bannir l'influence de l'imagination, considérée comme source d'erreur. Si la seconde moitié du XIXe siècle voit l'apogée du scientisme – auquel aboutit cette fracture –, il est tout à fait surprenant de constater que cette conception, qui fait du mesurable la seule source légitime de connaissance, a largement survécu jusqu'à nos jours, en dépit des découvertes de la physique quantique qui, dès le début du XXe siècle, en remettaient radicalement en cause les prémisses. Ce n'est donc certainement pas un hasard si c'est un physicien qui nous propose de surmonter la schizophrénie caractérisant notre culture depuis plus de trois siècles : avec la transdisciplinarité, c'est à un véritable changement de paradigme culturel que nous convie Basarab Nicolescu, paradigme apte à répondre à l'urgence de refonder une unité de la connaissance.

André Malraux, la mise en question absolue, avec Michel Cazenave

Comment vivre et comment penser, pour un homme dont la conscience aiguë du caractère tragique de l'existence humaine s'accompagne du refus de toute forme de baume idéologique ou religieux ? Certes, comme l'a bien montré Pascal, le divertissement est lui aussi un baume ; et pour les cas les plus sévères, le suicide offre un ultime recours... Mais si on peut imaginer qu'André Malraux fut parfois tenté par l'un ou l'autre de ces expédients, son génie n'eut accepté aucune forme de compromis. L'homme, le « misérable petit tas de secrets », devait s'incliner devant des puissances intérieures qui le dépassaient de partout. Et tel un Sphinx qui hante les profondeurs de l'âme, c'est en questions obsédantes que se manifestèrent pour lui ces puissances formidables : pourquoi la mort ? comment surmonter l'absurde ? quel sens donner à sa vie ? Malraux embrassa corps et âme ces questions, il les chevaucha toute sa vie. C'est en compagnie de Michel Cazenave, qui à de nombreuses reprises eut le privilège de rencontrer André Malraux en tête à tête, que nous allons nous questionner sur la trajectoire peu commune de cette comète qui traversa la majeur partie du XXe siècle et dont la lueur ne manque pas de nous éclairer encore aujourd'hui ; car si Malraux concentrait en lui même une bonne part des tensions spirituelles de son temps, il semble bien que ces tensions se sont intensifiées bien plus qu'elles ne se sont transformées depuis sa disparition en 1976. Michel Cazenave a consacré deux essais à André Malraux : André Malraux (Balland, 1985) et Malraux : le chant du monde (Bartillat, 2006), il a par ailleurs dirigé le Cahier de L'Herne qui lui est consacré : André Malraux (1982)

Visages du féminin sacré, avec Michel Cazenave

Même si en Occident c'est d'une divinité masculine dont on s'est longtemps servi pour témoigner de l'abîme du divin, les mythologies des nombreux peuples de la terre, ainsi que l'histoire, montrent à quel point ce choix est loin d'être universel. Qu'il s'agisse de mères divines, de principes féminins divins en conjonction avec leur pendants masculins ou de déesses aux amours tumultueux, la palette est riche des modalités du féminin sacré à travers des âges et les lieux. De Michel Cazenave on connaît sans doute l'intérêt passionné pour ces figurations féminines de l'infini dérobé, il leur consacre d'ailleurs l'un de ses derniers ouvrages, publié l'année dernière aux Éditions Entrelacs, dont nous avons emprunté le titre pour cette émission : Visages du féminin sacré. C'est en sa compagnie que nous allons explorer quelque unes de ces épiphanies du divin, tout en essayant de comprendre pourquoi, dans le courant de notre histoire, ce féminin sacré fut en grande partie confiné dans certains courants de pensée marginaux, relégué en quelque sorte dans l'inconscient de la culture. A l'exception notable de la figure de la Vierge Marie, dont le statut dans les doctrines officielles des églises chrétiennes n'a cessé d'évoluer sous la pression populaire, jusqu'au dogme de l'assomption en 1950 pour ce qui est du catholicisme, mais sans jamais égaler celui d'une déesse, alors même qu'elle hérite des caractéristiques et de la ferveur vouée à certaines déesses de l'antiquité comme par exemple l'Artémis d'Éphèse. On pourra par ailleurs se demander si le regain d'intérêt depuis quelques décennies dans nos contrées pour le féminin, en particulier lorsqu'il s'accompagne d'une expérience religieuse ou spirituelle, n'augure pas la réapparition et la montée en puissance de formes symboliques et mythologiques centrées sur le féminin, aptes à médiatiser l'abord que nous avons du sacré et à renouveler la conscience que nous en avons.

La conjonction des opposés, d'Héraclite à Carl Gustav Jung, avec Michel Cazenave

Dans son effort pour s'expliquer le réel, notre culture privilégia - surtout à partir du XIIIe siècle - un mode d'intelligibilité qui fut théorisé dès l'antiquité par Aristote avec les principes de la non-contradiction et du tiers exclu. C'est à ce type de rationalité que l'on doit en partie le formidable essor de la connaissance scientifique, mais en partie seulement puisque l'on sait combien certaines découvertes trouvent leur origine dans des modes de pensée tout à fait différents, que l'on songe par exemple au rêve qui inspira la structure de l'atome à Niels Bohr. Ce mode d'appréhension du réel, dont l'efficacité n'est plus à démontrer, révèle certaines limites : il n'est que prendre l'exemple des objets de l'univers microscopique, qui donnent lieu à deux modèles antinomiques - ondulatoire et corpusculaire - pour se rendre compte que même dans le cadre des sciences exactes il nous faut parfois tenir ensemble des représentations opposées d'une même réalité. Mais si l'on se borne à notre culture, il est notable que l'idée d'une indissociabilité des contraires était déjà présente chez Héraclite, cinq siècles avant notre ère. Héraclite qui, un siècle et demi avant Aristote, rejetait d'avance le principe de non-contradiction, discernant l'harmonie qui transcende la tension des opposés, comme pour l’arc et la lyre. Au XVe siècle, Nicolas de Cues, s'efforçant de penser l'Infini, propose à son tour un dépassement du régime habituel de la raison, passant du principe de non-contradiction à celui de la coïncidence des opposés. Carl Gustav Jung trouvera chez le génial cardinal forte inspiration pour qualifier l'unité inconnaissable et incompréhensible du Soi...

Rubrique livres :

-Nicolas de Cues : Anthologie, Marie-Anne Vannier (Traduction), Klaus Reinhardt (Auteur), Harald Schwaetzer (Auteur) - Éditeur : Cerf

Bernard de Clairvaux, avec Michel Cazenave

Né vers la fin du XIe siècle et mort en 1153, Bernard de Clairvaux est l'un des personnages qui ont le plus marqué le XIIe siècle. Jouant un rôle déterminant dans la plupart des combats politiques de son temps, il écrira et fera approuver la règle et les statuts des Templiers, prêchant également pour la seconde croisade et usant de son influence lors de l'élection de certains papes. À une époque où fleurissaient les hérésies, en particulier le catharisme, il prôna un retour aux sources du dogme, luttant toute sa vie pour la sauvegarde de l'orthodoxie. À l'origine, par son charisme et son rayonnement, de la formidable expansion de l'ordre cistercien, il veilla à la stricte observance de la règle de vie monastique définie par saint Benoît plus de cinq siècles auparavant, promouvant ascétisme et dépouillement, en un idéal se voulant plus rigoureux que celui ayant cours alors à Cluny. Mais s'il se soumit à de rudes austérités, il fut également le héraut d'une mystique qui inspirera tout un courant de la spiritualité chrétienne et dont témoignent ses sermons sur le Cantique des Cantiques, à la rédaction desquels il s'attela jusqu'à la fin de sa vie. Si l'on se souvient que son époque était fortement marquée par la croyance en l'imminence de la fin des temps, l'un des apports remarquables de Bernard de Clairvaux, inaugurant un véritable changement de sensibilité dans le christianisme, fut de déplacer l'attention, de détourner l'intensité de la méditation et de la prière vers l'avènement immédiat du Christ au plus profond de l'âme, dans l'intimité la plus secrète de chacun, transmuant en quelque sorte l’apocalypse en mystique de l’amour.

Rubrique livres :

-Bernard de Clairvaux, Marie-Madeleine Davy (Auteur) - Éditeur : Albin Michel
-Bouddhisme tantrique et alchimie, Françoise Bonardel (Auteur) - Éditeur : Dervy

La beauté, reflet du divin, avec Michel Cazenave

La beauté du monde, qui est également celle des femmes, reflète dans son harmonie et sa plénitude quelque chose qui n'est pas de ce monde. Et c'est précisément lorsqu'elle s'élève elle aussi au rang d'icône que l'œuvre d'art, dévoilant un brin du mystère qui habituellement nous demeure invisible, accompli sa fonction originelle. Mais la beauté n'est pas qu'équilibre et harmonie : s'approchant du sublime, elle est aussi ce " commencement du terrible " comme le disait Rilke dans ses Élégies de Duino. Un terrible qui n'est pas sans rappeler le numineux dont parlait Rudolf Otto dans sa réflexion sur le sacré. Effrayante et fascinante beauté, qui dans l’éclat et la splendeur de son excès, révèle quelque chose d'un au-delà du rationnel, qui aveugle ou anéantit celui qui s'en approche inconsidérément mais qui, pour quelques-uns aptes à en éprouver le mystère, est une voie d'élévation et de communion avec le divin.

Rubrique livres :

-Le langage des oiseaux, Manteq ut-Tayr, Farid ud-Din' Attar (Auteur), Mohammad Reza Shafi'i Kadkani (Préface), Manijeh Nouri (Traduction) - Éditeur : Cerf
-Le Sanskrit, souffle et lumière : Voyage au cœur de la langue sacrée de l'Inde, Colette Poggi (Auteur) - Éditeur : Almora
-La décapitation de saint Jean en marge des évangiles : Essai d'anthropologie historique et sociale, Claudine Gauthier (Auteur), Michel Tardieu (Préface) - Éditeur : Publications de la Sorbonne
-Visages du féminin sacré, Michel Cazenave (Auteur) - Éditeur : Entrelacs

Atman et pensée indienne, avec Michel Cazenave

Le sous-continent indien est sans aucun doute l'un des lieux de la terre qui a vu fleurir le plus grand nombre de courants religieux et philosophiques, sol fécond où la réflexion métaphysique, au sens le plus noble de ce terme, n'a cessé d'aller au bout d'elle-même et de se dépasser. C'est dans les Upanishads qu'une part de cette pensée, confrontée des siècles durant à ses propres abîmes et à la réalité ultime, va se cristalliser. Les Upanishads, que deux termes sanskrits, l'Atman et le Brahman, illuminent comme de véritables condensés de sens, mais d'un sens qui transgresse allègrement les frontières de notre raison commune.

Rubrique livres :

-Aspects du bouddhisme, Henri de Lubac (Auteur) - Éditeur : Cerf
-Aux origines du judaïsme, Jean Baumgarten (Auteur), Julien Darmon (Auteur), Collectif (Auteur) - Éditeur : Les Liens qui Libèrent

Réflexions autour de l'amour, avec Michel Cazenave (deuxième partie)

Qu'est-ce qui dans la jouissance féminine fait si peur aux hommes ? C'est cette question embarrassante qu'aborde Michel Cazenave dans l'une de ses pièces de théâtre, créée au théâtre de Nesle en 2004 et intitulée S'abandonner, dit-elle. Dans cette seconde émission consacrée à l'amour, il guidera également nos pas vers certains mystiques de l'islam, pour lesquels l'amour humain est le plus court chemin vers le divin. Saurons-nous alors suivre Dante jusqu'au paradis ?